mardi 11 février 2025

 

Andrée D - Warren-Chapitre IV – jaune – souvenir

 

Le tram est bondé. Warren et Pierre jouent des coudes, anticipant la difficulté à atteindre la sortie avant l’arrêt devant l’école.
Il a encore plu cette nuit. Le soleil matinal jette des éclats dorés sur les flaques d’eau, éparpillées au gré des défectuosités du trottoir.
Des groupes d’adolescents sont massés devant les grilles de l’entrée principale.
Tout-à-coup, l’estomac de Warren se contracte et remonte se caler dans sa gorge. Il vient d’apercevoir le meneur de la bande de harceleurs qui s’en étaient pris à lui l’an dernier : Brian en grande discussion avec Lola.
Enfin manifestement, c’est lui parle, invective plutôt, avec force gesticulations et l’air menaçant qu’il ne lui connaît que trop.
D’une poussée dans le sac à dos et du regard, Warren alerte son ami. Qui aussitôt sort son high-phone.
Non ! Pas Lola ! Pour le coup, Warren remise le comportement de prudent retrait stratégique adopté pour déjouer les attaques du lourdaud. Jusqu’à ce jour, il a sagement esquivé la confrontation physique. Brian est grand, gras, épais, adepte des démonstrations de puissance de sa musculature. Au surplus équipé d’un petit pois avarié en guise de cervelle et totalement dénué de goût pour le dialogue et le compromis.
Mais là, Warren est prêt à en découdre. Lui reviennent en boomerang dévastateur les souvenirs tant de son attitude d’évitement que des persécutions de son bourreau. Ne pas prêter le flanc, ne pas répondre, s’abstenir d’affronter lui apparaît une lâcheté intolérable lorsqu’il s’agit de défendre Lola. Il lui importe peu que son revirement lui vaille sans doute un regain de malveillance.
Pressé par la foule qu’il fend aussi rapidement qu’il le peut, il a perdu de vue le survêtement jaune et le « baggy » blanc de son ex-tourmenteur.
Enfin, il s’extirpe du tram, poings serrés, avec la ferme intention de les planter dans la figure de Brian…Lequel Brian gît dans une flaque de boue, énorme caneton blondasse, tout piqueté du croupion à la crête de traces brunâtres peu ragoutantes. Lola, à ses côtés le gratifie d’un sourire navré, démenti par le mépris dans son regard.
« Brian a glissé. C’est cringe…on ne peut pas l’aider. Il est tout sale, pauvre Brian… ».

Pierre l’entraîne avec Warren à sa suite, laissant Brian se relever lourdement. Il s’est retenu de rire ouvertement mais les larmes au coin des yeux trahissent son amusement.  Il a filmé la scène. Quelques secondes à peine qui voient Brian saisir violemment Lola par le bras et cette dernière, dans une technique d’auto-défense très maîtrisée, accentuer le mouvement amorcé et le parfaire d’un croche-pied ciblé. La chute est spectaculaire.  Le trio se partage ostensiblement la vidéo. Brian ne peut ignorer que ce faisant, les trois compères souscrivent une assurance sans faille contre ses agissements. A la moindre tentative d’intimidation, ils en feront les choux gras des réseaux sociaux.
Dans un éclat de rire Lola les remercie : « Merci à vous les gadjos. Je vous ai vus prêts à me défendre. Mais j’ai l’habitude, alors… », puis les plante là, brandissant un volumineux roman et s’installant sur son banc préféré, dans l’attente de la sonnerie annonciatrice du début des cours.

Revenu chez lui après ceux-ci, Warren ne parvient pas à se remettre de ses émotions.
Devant son miroir dont la réflexion n’aura jamais autant mérité son nom, il mesure le fossé entre ses rêves d’héroïsme, de soutien, de noble et talentueuse chevalerie et leur réalité prosaïque.

Il évalue encore combien Lola lui demeure étrangère, combien elle cuirasse ses zones d’ombres, ses secrets. Pourquoi pratique-t-elle l’auto-défense, quelles sont ses expériences d’expatriée, d’où lui vient son goût des langues, de la lecture, de la solitude ? Pourquoi la brise-telle avec lui spécifiquement et si occasionnellement ? Se moque-t-elle de lui ?

Sans compter qu’elle est belle comme l’aurore, tandis que lui…

S’il l’avait vraiment consulté, son miroir aurait pu le consoler. Mais Warren le retourne d’un geste sec, provoquant un déplacement d’air et celui inopiné de la poussière sur le papillon, lequel, déséquilibré penche dangereusement vers le lavabo.

 

 

 

 

6 commentaires:

Jan M. a dit…

Bonjour Andrée,
Warren prêt à en découdre ? C'est qu'il grandit le bougre et s'affine psychologiquement.
Lola devient de plus en plus mystérieuse. Elle emploie un mot tsigane, serait-elle rom ?
Elle a beaucoup voyagé déjà...
Bien vu aussi le sang-froid de Pierre qui dégaine son iPhone !
Comment Warren va-t-il réussir à vaincre sa timidité, son manque de confiance en soi ?
Tiens, on ne parle plus d'acné ! Le problème est-il en voie de résolution ?
Depuis le tout début, je reste accroché à tes personnages, bravo.
Bien à toi,
Jan.

Atelier Windels a dit…

Bonjour Andrée,
Je trouve que le style de cette histoire est très différent des précédentes, plus humain et plus sensible.
J'ai ri à la vue du gros gras caneton dans sa flaque...
Warren n'est pas encore sorti de ses problèmes mais il a des envies de courage.
Au grand dam de Warren, Lola reste très distante. Comment alors changer cette réaction ?
Heureusement que Pierre a tout filmé, bon rebondissement dans la vie de Warren.
J'attends avec impatience la suite de l'histoire.
Bien à toi,
Michel.

christian Vanderstraeten a dit…

Bonjour Andrée,

Je fais la connaissance de Warren qui semble avoir, par le passé, été malmené par Brian, un bourreau/lourdaud au cerveau de poisson rouge (c’est la 1ère fois que je lis ton texte). Il va prendre son courage à deux mains pour défendre Lola qui n’en n’a pas besoin ; le harceleur se retrouve par terre !

Lola, belle comme un jour sans fin, est-elle d’origine gitane pour utiliser le mot « gadjo » qui désigne une personne qui n’est pas rome ? Ou alors c’est par extension, mec, dans le parler actuel ? Et puis, il y a « cringe » , mot qui n’est pas de mon époque : j’ai dû aller sur Google pour en connaître la signification « gênant, malaisant »

J’ai, tout comme Warren, de nombreuses questions sur Lola. Tu y répondras très certainement dans la suite de ta nouvelle fort bien écrite ; je l’attends avec une certaine impatience.

Bravo. Cordialement, Christian

José V. a dit…

Bonjour André,
Elle est pleine de surprise Lola : elle se montre capable de se défendre seule. Mais elle est aussi source de questionnement pour Warren.
Comment pourra-t-il briller et se sentir à la hauteur en aidant Lola ?
Ce chapitre aborde bien le délicat problème du harcèlement scolaire, tout en y apportant un peu de légèreté.
Tu arrives, Andrée, à nous rendre très attachants tes deux protagonistes.
Du coup, j'attends la suite avec impatience. Bravo,
Jos

Anonyme a dit…

Bonjour, Andrée…
Quand, et comment Warren parviendra-t-il à surprendre sa chère Lola?
C’est elle, au contraire, qui le décontenance sans cesse! On lui découvre, dans cet épisode, un évident talent physique dans l’art de l’autodéfense.
La scène est courte, rapide mais décrite dans le détail et avec une richesse de vocabulaire qui, une fois de plus m'épate!
Je n’ai aucun doute sur ta faculté à nous étonner pour la suite, tant du point de vue de l’imagination que par la qualité de ton style.
A bon entendeur…!
Amicalement,
Micheline.

Liliane a dit…

Bonjour Andrée,
Encore une scène remarquable de justesse. Ta maîtrise du langage et des attitudes des adolescents m’incite à supposer que tu les côtoies régulièrement. Et tu les rends tellement attachants….
Tu entretiens l’espoir et le suspense avec la discrétion coutumière de ton écriture. Tu entretiens aussi l’espoir : le miroir pourrait consoler Warren. Et le lecteur reste sur sa faim… Bien joué !
Que dire de plus d’un texte dont l’écriture épouse totalement le sujet et qui laisse le lecteur en haleine sitôt après l’avoir fait sourire.
Dans ton prochain texte, sous le signe du noir, un accident domestique ou scolaire viendra compliquer la vie de Warren.
Bon travail,
Liliane