Andrée D - Warren-Chapitre
II - Bleu - conseils d'un enfant
« Tu n’as plus
faim ? » Assis à ses côtés sur les marches du préau, Pierre lorgne
avec concupiscence l’appétissant sandwich jambon-beurre de son ami.
« Si, si… enfin non. Tu le veux ? »
Tout à sa mastication, Pierre suit néanmoins la direction du regard de
Warren. Lola, évidemment. Il aurait pu
s’en douter. En tailleur sur un banc, à
l’autre extrémité de la cour, la jeune fille est absorbée par la lecture d’un
livre posé entre ses fines jambes gainées d’un jeans slim, savamment élimé.
Seule. Sans hostilité à l’égard des indiscrets qui viennent la déranger, elle
leur décoche son fameux sourire avant de replonger aussitôt dans son roman. A l’heure des smartphones et de leur pouvoir
hypnotique, cette fille n’est décidément pas comme les autres.
« Arrête de baver comme ça, mon vieux. On dirait un veau en plein
sevrage. »
« Oh, hé…Quoi ? Lâche-moi, tu veux ? »
« Ben, non. Tu n’es plus folichon, ces derniers temps. Et puisque tu ne me
demandes pas, je vais te dire… »
« Pfff ! »
« Bon. D’abord arrête de te verser la moitié d’un flacon de parfum sur la
tête. Tu pues, mec ! Ensuite tes essais de coiffure, c’est pas ça :
oublie les tonnes de gel et opte pour le shampooing … »
« Lâche-moi, je te dis ! »
« Non. Je vais te balancer un scoop : ce n’est pas avec ton physique de
jeune premier que tu vas la pécho. »
« Attends. Je veux être sûr de bien comprendre. De qui tu parles,
là ? »
Pierre éclate de rire. « Tu vois
que tu peux être drôle, quand tu veux. Je comprends que tu aies un sérieux
crush sur elle. Elle est carrément canon. Mais change de technique mon pote. Arrête de
loucher comme ça sur Lola. Tu n’es pas con, tu es super sympa et pas relou du
tout. Donc laisse toutes ces mouches vautrées en plein rut tourner autour
d’elle. Ça l’agace. Ça se voit. Et joue l’aimable indifférent. Comme elle. Sur
un malentendu… tu connais la suite… »
« OK, OK. Mais là, vraiment, lâche-moi »
Warren donne une bourrade affectueuse dans les côtes de son ami. Il n’y a que
lui pour le déchiffrer et conseiller de la sorte.
« Et rends-moi mon sandwich, pique-assiette ! ».
De retour chez lui,
Warren observe sans complaisance son visage dans le miroir. C’est clair :
Pierre a raison. Du Prince Charmant, il a encore la version crapaud. Encore que
çà et là, quelques gros boutons se sont asséchés. La lotion que Mami Vi a
déposée sur le lavabo est efficace. Pas spectaculaire, mais il y un mieux. En
attendant, il va suivre les recommandations avisées que Maître Pierre lui a
prodiguées du haut de ses légendaires sagesse et expérience. Il salue son ironie d’une grimace à son reflet.
Puis de son pallier, il interpelle sa grand-mère.
« Vi-iii? J’ai le temps de me doucher avant le dîner ? »
« Bien sûr, mon grand. Prends ton temps, ça mijote… et pendant ce temps, je
vais regarder mon émission à la télé… »
Warren s’empare de son vieux jogging bleu pour une soirée d’études en toute
décontraction et examine le désordre de sa chambre. C’est Bagdad ici. Il faudra
y mettre un peu d’ordre avant le repas et les maths. Il s’agira, mine de rien
de tendre une copie du devoir à Lola, dont le léger retard et les difficultés
en la matière lui ont été avoués à mi-mots.
Ragaillardi, Warren descend les marches quatre à quatre en sifflotant,
déterminé à retrouver sa fragrance naturelle et son authentique apparence,
quitte à ce qu’elles ne soient pas aussi séduisantes que dans ses rêves.
Près du miroir, l’azur du Morpho Menelaus se ternit quelque peu sous une fine couche de poussière.
7 commentaires:
Bonjour Andrée,
Quel chouette texte, de bout en bout !
Que de justesse dans la conversation entre Warren et Pierre. Le vocabulaire de ces ados est merveilleusement restitué. On les entend véritablement parler !
Idem pour le retour à domicile et les réflexions de Warren qui ne manque pas d'humour.
Pourquoi Lola s'isole-t-elle ainsi de ses camarades ? Jolie, elle doit faire face à des lourdeurs de drague mais, je suppose qu'il y a autre chose, de plus intime, qui la tracasse...
Je suis allé voir quel est ce papillon bleu de la dernière phrase. Là aussi, c'est intrigant.
Bien à toi,
Jan.
Bonjour Andrée,
La relation entre les deux amis est agréable à lire et amusante.
Tout le texte est captivant et très réaliste.
Pourquoi Warren est-il passionné par les papillons et quelle importance a ce papillon bleu en particulier ? Offert par sa mère ?
J'ai hâte de connaître l'évolution de la relation avec Lola...
Pour l'année nouvelle, je te souhaite beaucoup de plaisir en écriture.
Michel.
Bonjour Andrée,
Ton récit duit logiquement son chemin. S'en dégage une grande douceur. Tu nous fait aimer tes ados (ce qui, avouons-le, n'est pas toujours facile avec eux).
Comme Pierre, je m'interroge sur l'importance du papillon pour Warren et dans ton récit. Est-ce qu'à l'instar du portrait de Dorian Gray il va se flétrir au fur et à mesure de l'épanouissement de Warren ?
Et la jeune Lola quel secret porte-t-elle ? Pourquoi vient-elle d'arriver dans cet établissement ?
Vivement la suite.
Je te souhaite une année faite de découvertes et de plaisirs.
José
Bien vu José... ;-)
Bonjour, Andrée,
Il n'est pas trop tard n'est-ce pas pour te souhaiter une très heureuse Année 2025....?
Je retrouve cette fois encore une écriture précise et fine mais qui opte désormais pour un ton moderne, direct. Et tu plonges avec une belle efficacité dans l'univers désarmant des jeunes. J'ai souri plus d'une fois!
Une question tombe sous le sens : pourquoi Warren se passionne-t-il à ce point pour les papillons? Et bleus, de préférence! Parce qu'ils sont considérés comme de bon augure?
Doit-on y voir le présage d'un rapprochement avec Lola ?
A toi de voir, et je sais que tu as plus d'un tour dans ton sac..
A te lire bientôt...
Amicalement,
Micheline.
Bonjour Andrée,
Un texte délicieux de fraîcheur, de tendresse et de justesse. On connaît maintenant le problème de Warren, le boutonneux : il est bien évidemment raide de la bombe Lola. La description par Pierre de ses efforts de relooking est un grand moment ! Même si on a pitié de lui, on ne peut s‘empêcher de rire.
On se réjouit que Warren ait entendu les conseils de Pierre. On espère que… mais…
Il est clair que les papillons ont retenu l’attention de tes lecteurs. Et quand tu rapproches le Morpho Menelaus du miroir et qu’il se ternit, on s’inquiète. C’est bien joué !
En tous cas on attend avec impatience la suite de son parcours.
Un détail :
- Et rends-moi mon sandwich, pique-assiette !
- Cela me semble difficile, vu que Pierre l’a mangé : « Tout à sa mastication, Pierre… »
Dans ton prochain texte, sous le signe du gris, Pierre va entreprendre une étude en plus de son cursus scolaire. Il ne s’agi pas nécessairement d’une démarche intellectuelle, ce peut être du sport, de la danse, du chant, un cursus sur internet… tout est possible mais l’objectif est de résoudre son problème.
Bon travail,
Liliane
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