Andrée D - Warren- Prologue
« Il fait une chaleur de four dans ce dépôt. Infernal. J’ai les mains moites. La sueur doit me dégouliner entre les pustules. Ce connard de vendeur ne me fait même pas l’aumône d’un regard. Je le dégoûte ou quoi ? ».
Warren s’est saisi du miroir. Prix affiché : 2€. Sans doute ne vaut-il guère plus, piqueté comme il est, nanti d’une seule cordelette râpée en guise de cimaise, et de taille modeste. Ce serait plutôt moins.
« S’il veut bien s’intéresser à moi, je lui en propose 1€ et basta…je me tire ».
Le seul vendeur visible dans le vaste espace de brocante ignore royalement le jeune boutonneux, au profit d’une mémère archi poudrée, arrivée après lui, mais manifestement séduite par un Chesterfield encore en bon état. Forcément sensiblement plus cher que le miroir. Sans compter que la dame semble fermement disposée à ouvrir un portefeuille rebondi. Soit, alea jacta est… A reculons, puis à pas latéraux glissés, attentif à ce que l’objet ne dérape pas entre ses doigts humides, Warren se dirige vers la sortie, sort de sa poche un euro, le dépose ostensiblement sur le comptoir et, dans un effort de naturelle dignité, sort du magasin à pas chaloupés, le regard lointain, indifférent et calme. De toute façon, personne ne lui a prêté la moindre attention. Pas plus qu’au miroir qui végète depuis des mois sous les toiles d’araignées, en attente d’un improbable amateur. Sa grand-mère ne verra aucun inconvénient à ce qu’il l’installe au-dessus du lavabo, dans la chambre qu’elle lui a aménagée.
« Bon, mon grand, n’hésite pas à la décorer selon ton goût, à la repeindre, si tu veux. La literie est quasi neuve. Le lavabo dispose de l’eau chaude quand tu n’as pas envie de tout un bain. Tu as un bureau et une penderie… sinon, c’est un peu austère, non ? ».
Oui, on peut le dire. L’acquisition du miroir est une première étape. Mais pas question de ruiner Mamy Vi en ornements et équipements somptuaires. Warren lui est déjà reconnaissant du bonheur qu’elle a manifesté à l’accueillir pendant la période – longue sans aucun doute- d’absence de sa mère – Catherine, Kat - en Irlande pour raisons professionnelles. Les avantages financiers liés au statut des « expats » avaient convaincu la jeune veuve de confier son fils à sa propre mère.
« Comme ça, tu pourras rester dans ton école. Tu viendras me voir pendant les vacances scolaires. Nous visiterons le pays ensemble… »
Top ! Le harcèlement moquant sa tignasse rousse pourra se poursuivre sans discontinuer. Alors qu’en Irlande, elle se fondrait dans la masse, se verrait tout au plus qualifier de «auburn » ou de « blond vénitien », à l’instar de la chevelure maternelle. Le summum avait été atteint à l’occasion de la lecture imposée de « Poil de carotte ». Ne parlons pas de son prénom, attribué en raison d’un bref coup de cœur de sa maman pour Warren Beatty, dans l’un des films mettant en avant sa plastique de bellâtre. Parfaitement inoffensif outre-manche, alors qu’à Bruxelles, affublé de l’accent local et de diminutifs débiles, c’est un vrai boulet. Cela étant, il doit reconnaître son état de « coq en pâte » chez Mamy Vi. Moins de stress, moins de contraintes, plus de liberté. Dispensé de cours intensifs d’anglais… Sans parler des talents culinaires de Mamy Vi, incomparablement supérieurs à ceux de sa douce génitrice, plutôt abonnée aux plats surgelés. Quoique pas dupe, Mamy Vi, au moins, ne fait pas le décompte des heures passées sur le smartphone. Pour l’instant, la colonne des points positifs est plus longue que celle des désavantages. Warren a renforcé le système d’accrochage de son miroir et l’a fixé au-dessus du lavabo, satisfait de ce que dans son reflet, les taches camouflent partiellement son acné. Il lui reste à ranger clous et marteau et à rejoindre sa grand-mère sur la terrasse pour un barbecue plus que prometteur. Et à aborder avec elle la question de la collection de papillons qu’il rêve de se constituer.
6 commentaires:
Bonjour Andrée,
L'ado vit chez sa Mamy, un havre qui semble de paix alors qu'il est confronté à bien des difficultés, tant de son âge que non maîtrisables.
Une phrase me semble ambigüe : qui "ne fait pas le décompte des heures de smartphone" ? La mamy ou la maman s'il passe des heures au tél avec cette dernière ?
J'aime l'humour discret de Warren : les pustules suantes et l'acnée masquée...
Ce coq en pâtes qui ne l'est pas vraiment est déjà attachant malgré le petit larcin qu'il va sans doute payer très cher...
Crainte : que sa mère refasse sa vie sans lui...
Rêve secret : que Mamy meure pour qu'il puisse rejoindre sa maman...
Je suis donc dans l'attente impatiente de savoir ce que tu réserves à ce jeune torturé.
Bien à toi,
Jan.
Merci Jan pour tes commentaires et suggestions. J'ai clarifié: c'est sa grand-mère qui ne calcule pas les heures perdues sur le smartphone
Bonjour Andrée,
La mise en place est efficace ; on perçoit déjà bien la personnalité de ton ado. La grand-mère n'est encore qu'effleurée. Je suis curieux de voir toute ce qui peut la rapprocher de son petit-fils, comme de ce qui les séparera, ce qu'elle ne pourra comprendre ou accepter.
Je me demande si la crainte la plus profonde de Warren n'est pas de se retrouver tout seul. Ayant tendance à être harcelé à l'école (un élément capital du récit ?), il doit se sentir bien seul. Le monde doit lui sembler bien garis. Les papillons seront-ils l'occasion d'y apporter de la beauté et de la couleur ? Mais ils sont bien fragiles et éphémères !
Nous prépares-tu une tragédie ?
Au plaisir de te lire,
José
Bonjour Andrée,
Une histoire banale ? Un ado banal ? Un miroir banal ?
Un démarrage tout en douceur qui, sans révéler beaucoup de choses sur Warren, plante un décor familial précis. Décor relativement lourd pour le gamin...
Crainte : une dépression suite aux harcèlements quotidiens...
Rêve : avoir un ami pour l'aider à surmonter les épreuves...
Je suis certain qu'avec tes personnages tu vas nous faire vivre une histoire pas banale du tout !
Dans l'espoir de te lire bien vite,
Bien à toi,
Michel.
Bonjour, Andrée...
Tu nous plonge dans un environnement sombre... Et ma sympathie vole tout droit vers ce Warren un peu délaissé par sa mère. Si ce n'est pas son souhait primordial, le havre que lui offre sa Mamy lui évite malgré tout de se retrouver à la rue. Là, y a de la chaleur au moins!
Il faut espérer que dans le climat de dénigrement de l'école il va pouvoir trouver un copain qui le soutienne. Mais est-ce vraiment son attrait pour les papillons qui va convaincre un jeune ado?
Ne se pourrait-il pas qu'un prof par contre lui offre son appui?
Tout est possible. A toi, Andrée, toutes les voies de l'imaginaire...!
Amicalement,
Micheline.
Bonjour Andrée,
Un prologue très riche qui nous apprend beaucoup sur ton personnage ; un adolescent boutonneux, mal dans sa peau, mais aussi lucide, décidé, audacieux même. Sans insister, tu nous suggères sa souffrance de se sentir mal aimé par ra sa mère et surtout tu installes une belle tendresse complice entre lui et sa grand-mère. Je trouve la suggestion de Jan vraiment gore, mais tout est possible ! On s’attache déjà à Warren, on espère qu’il ne vivra pas des moments trop difficiles quoique… 16 ans, rouquin, des boutons et une mère absente, je dirais que la liste des handicaps est plus longue que celle des points positifs, mais il a du-cran ton Warren et une grand-mère qui l’aime.
Un détail d’écriture important que je rappelle à tous : attention à l’accumulation des adverbes, surtout les longs adverbes en -ment :
« Le seul vendeur visible dans le vaste espace de brocante ignore ROYALEMENT le jeune boutonneux, au profit d’une mémère archi poudrée, arrivée après lui, mais MANIFESTEMENT séduite par un Chesterfield encore en bon état. FORCEMENT SENSIBLEMENT plus cher que le miroir. Sans compter que la dame semble FERMEMENT disposée à ouvrir un portefeuille rebondi. »
Je te conseille VIVEMENT (!) en vue de la mise au point finale, de réécrire ce passage en t’imposant la suppression de tous les adverbes en -ment.
Dans ton premier chapitre sous le signe du vert, Warren aura un problème dans le cadre de de ses études. Echec scolaire ? Harcèlement ? Conflit avec un prof ?
Bon travail,
Liliane
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